₪ La nuit était déjà bien installée lorsque je décidai de faire une pause et de m'adossai à un tronc d'arbre, les yeux levés vers le ciel, qu'on pouvait voir ici et là à travers le feuillage épais de la jungle. Cette nuit, les étoiles étaient de sortie. Mais pas la pleine lune. Pas avant quelques jours encore. Parfait, je n'aurai pas à gérer les jeunes loups qui étaient inexpérimentés. Et surtout, à gérer ma propre colère en même temps. Chaque pleine lune, j'essayais de garder la face, de faire de mon mieux pour paraître le plus en maîtrise possible. Un seul faux pas et je pouvais malencontreusement laisser des bêtes sauvages saccager les alentours. Je poussai un soupir, fermant les yeux quelques secondes. Puis je les rouvris, et m'élançai vers l'avant, reprenant ma course. Courir était un bon exercice, surtout pour se libérer l'esprit. C'était aussi un bon moyen pour être seul.

Tandis que mes bottes foulaient le sol, je me demandais ce qui m'avait donné la force d'être ce que je suis maintenant. C'était une question qui revenait souvent ces temps-ci. Qu'est-ce qui avait fait de moi un alpha, alors que j'avais passé plusieurs années à fuir ce que j'étais ? Je ne me plaindrai pas. J'acceptais pleinement les responsabilités qui m’incombaient aujourd'hui, et je n'échangerai cela pour rien au monde. C'était mon chez-moi maintenant, du moins, je l'espérais. Étrange ce mot ... Chez moi ... Ce fut une odeur appartenant à un inconnu hostile qui me fit revenir dans le présent, et me stopper net.

« On s'est perdu, le nabot ? »

Correction, ce n'était pas un mais deux inconnus hostiles. Belle erreur d'avoir baissé ma garde. Des vampires. Avais-je dévié trop près du territoire de ces buveurs de sang ? Pas à ma connaissance, je n'étais pas parti aussi loin. Donc, ils s'étaient rapprochés plus que d'habitude. Je serrai les dents, fouillant l'obscurité du regard. Je ne voulais pas me battre, mais j'étais mal tombé. Les deux individus sortirent de l'ombre, leur peau de marbre reflétant la lumière de la lune. Leurs yeux ambrés me fixaient et je soutins leur regard.

« Vous êtes trop près de mon camp, allez-vous-en. On a pas besoin de se battre. »

C'était comme parler à l'oreille d'un sourd. Je vis les mouvements rapides du premier et ce ne fut que grâce à mes propres réflexes surhumains que je pus éviter son coup. Accroupi, je serrai les dents, laissant un grondement sortir de ma gorge. Mes yeux virèrent au rouge sang alors que je me relevai, le corps tendu, prêt à me battre. Je ne pouvais tenter de retourner maintenant vers mon camp, je mettrai en danger les miens. Combattre ces deux abrutis ne m'enchantait pas du tout. Mais avais-je le choix ? Ils semblaient ne vouloir que m'enquiquiner (et me laisser quelques bleus), mais tout ça pouvait rapidement dégénérer. Mieux valait leur faire comprendre rapidement d'arrêter.

Je fis apparaître mes griffes et mes crocs en même temps que je m'élançai vers le vampire le plus proche, le décochant un coup de coude dans le ventre pour ensuite lui empoigner la nuque et le faire tomber sous mon poids. Mais c'était sans compter sur son acolyte, qui vint rapidement me déloger de là, me ramenant les bras dans le dos à un tel point que je sentis mes épaules sur le point de rompre. Je grognai sous la douleur et la colère. Donnant un coup de tête au visage de celui qui me tenait, une fois libéré, je fis brusquement volte-face et balançai un coup de griffes qui lacéra l'abdomen du vampire. Premier sang versé. Ça ne rigolait plus. Et je me savais en véritable danger face à ces deux vampires que je ne pouvais tenir en respect en même temps.

₪ Je ne pouvais me risquer à me défouler sur ces deux idiots de suceurs de sang, car ça risquait de me retomber dessus. Certes, ils avaient commencé à chercher la bagarre, mais qui sait ... Je n'étais pas fan des vampires, comme eux n'étaient pas fans des loup-garous. Heureusement que cette lutte n'était pas devenue acharnée et sans pitié, car j'aurais plus à gérer que deux de ces cadavres ambulants qui s'approchent un peu trop près du camp où les miens se reposaient. Une guerre ferait beaucoup trop de dégâts ... Après avoir fait lâcher prise au vampire et lui avoir donné un coup de griffe, je fléchis les genoux, près à en découdre malgré ma répugnance à user d'autant de violence. Même si les loup-garous étaient violents de nature, je cherchai à réprimer cet aspect de nous-mêmes, étant très strict là dessus avec les membres de ma meute. D'où mon pacte de non-agression avec le chef des jeunes, qui avaient leur camp à bonne distance du mien.

Heureusement pour moi, ce pacte m'évita bien des ennuis cette nuit. Alors que je crus devoir sortir le grand jeu, quitte à perdre l'humanité que je chérissais tant, les deux zigotos se mirent à se tordre, leurs visages crispés comme si quelque chose les bouffait de l'intérieur. Si je ne comprenais pas trop ce qui se passait, la réponse vint rapidement :

« Il me semble que vous n’avez pas pour ordre d’opportuner les autres habitants de cette ile ! Vous en ais-je donner l’autorisation ? Il me semble que non et je ne pense pas que votre reine non plus ! »

Je reconnaissais cette voix. Ouh. Je ne voulais pas être à la place de ces deux vampires. Alors qu'ils s'éloignaient de moi, en proie à une douleur que j'imaginais horrible, je tournai mon regard toujours illuminé d'une lueur couleur sang vers l'auteur de cet assaut magique. Peter. Je ne pouvais pas dire que je le connaissais parfaitement. N'étant ici que depuis à peine deux ans, il restait encore des mystères sur cette île, et cet être aux allures de gamin, sans l'être vraiment, en faisait partie. Sa magie n'était pas à prendre à la légère, et je me détendis un peu. Mes assaillants n'oseraient pas s'en prendre à lui. Mes crocs et mes griffes disparurent, mais je gardai cette lueur animale dans mon regard. Faut dire que leur attaque m'avait mis en pétard. J'allais devoir être plus vigilant, ce n'était pas normal qu'ils s'aventurent aussi près de notre camp.

Les deux suceurs de sang disparurent et l'allure froide de Peter disparut, alors qu'il se tourna vers moi.

« Drôle de moment pour faire du jogging comme diraient certains de mon camps ! »

Je soutins son regard, mes yeux ayant repris leur teinte habituelle, et je souris.

« Je préfère courir la nuit, c'est plus calme généralement proche du camp. »

Oui, généralement. Et puis, je n'avais pas à gérer, à ces moments là, tous les petits soucis qui construisaient notre quotidien. Pas que je me plaignais, loin de là. C'est même tout le contraire. Ça faisait un peu bizarre ce rôle d'Alpha que je n'avais jamais convoité, je n'avais jamais eu de meute depuis la mort du chef de mon ancienne famille, et maintenant c'était le cas. Et je prenais ce rôle très à coeur. Ça faisait juste du bien, parfois, d'avoir un temps pour soi.

« Mais il semblerait que je ne sois pas le seul à me promener la nuit ... Un quelconque soucis pour être venu dans le coin ? Pas que je m'en plaigne, merci d'avoir fait fuir ces deux crétins. »